J'ai commencé ma recherche en regardant les arbres. Peindre ce que l'on voit, ce que l'on imagine, ce que l'on ressent devant cette nature : le visible et l'invisible. Chercher et comprendre ce qui nous entoure. Cette quête m'occupe depuis de longues années. Je me questionne sur le rapport de l'homme à la nature en proposant une mise en parallèle de portraits humains et d'éléments de la nature surdimensionnés et restituer un équilibre.
Artiste plasticienne, Christine Cadours,
Partie du thème de l’arbre dans les années 90 et du besoin de le peindre pour retrouver les émotions de l’enfance, elle construit peu à peu son parcours de plasticienne. Durant des années, elle explorera cet inconscient dont elle pressentait, dans ce travail, les prémices. Retrouver pour comprendre et pour accepter de perdre. Elle cherchera avec les enfants d’une école maternelle qui est l'artiste : l’enfant ou l’artiste. Rassurée, elle pourra conclure que l’enfant apprend et que l’artiste désapprend.
Cette quête de l’enfance l’occupera de longues années. Perdre pour construire là où est son vrai désir. Le dessinateur se raconte toujours et on retrouve cette exploration dans sa peinture.
Questionnement sur l’homme, et sur la nature. Mise en parallèle de portraits, recherche d'équilibre, croisements pour donner à voir au spectateur passant. Elle nous livre dans ce travail plastique, des portraits d’humains, présentés côte à côte avec des portraits de légumes surdimensionnés, afin d'attirer le regard du spectateur et redonner ainsi valeur égale aux éléments de la nature, présentés, encadrés comme des portraits humains.
Elle tente par ses points de vue d'interroger notre responsabilité. Prendre acte du mauvais état de notre planète, de la menace qu'il fait peser sur les équilibres biologiques, environnementaux mais aussi sociaux et politiques. Mettant en scène ses portraits, elle propose un parcours poétique « in situ », pour inviter le public à cette réflexion, en le positionnant au centre de son questionnement.
Ses peintures engagent des techniques différentes, huile, acrylique, mosaïque, tissus, bois, papiers, photos, mises en équilibre par un poids symbolisant la fragilité de l'homme et de la nature. Tout est affaire d’équilibre, et de cette mise en abîme, les portraits s’équilibrent...
Accrochage façon tringle à rideau, l’arbre réapparaît dans son travail. Branchage support, élément de la nature, habillé et paré par l'artiste, il interroge le portrait du dessous. Le verre et la céramique éclairent le motif. Le galon souvenir de merceries de l’enfance, cousu sur la toile ou le papier, souligne et renforce l’idée du portrait.
Réminiscences pour se cogner de nouveau et finalement construire là où ça convient. S
Objets partiels
Dans la continuité de ce travail, la fragilité de notre éco-système nous amène aussi à la finitude et la perte.
Ses « objets partiels » tentent ici d'apaiser la perte, la fin, en construisant un imaginaire à partir de nos restes, qui s'enchevêtrent à la vie en lui donnant un habit de lumière. Tel une parure sur son coussin de velours, bijou d'une seconde vie, la sculpture prend et reprend sa place parmi les vivants.
Il ressort du tragique de la mort quelque chose d'acceptable et qui chemine de nouveau.
La mort devient plus sereine, faite de mystère, et en fin de compte plus supportable et avec laquelle on peut vivre parce qu'elle se détourne de la tragédie par sa parure.
Dans notre monde, où la mort est la plupart du temps occultée, vivre avec fait aussi partie de la vie.
Sans Dieu, et néanmoins pas éloignée du culte de la Sainte Mort au Mexique, ce qui faisait partie du monde vivant, ossements, végétaux, reprend sa place, en tant que sculptures et œuvres d'art dans notre quotidien.
Résidence
Corée du Sud Masan
Août-Septembre 2019
Mars 2019, Paris
J’attends depuis longtemps cet espace qui m’est nécessaire. Il est là ce soir. On me propose de
signer un contrat de résidence à Masan en Corée du sud à l’Espace Rhizome.
De nouveaux questionnements à l'aune de ceux qui y étaient déjà, sur l’homme, la nature, leurs actions communes ou pas, la Corée du Sud, les coréens, leurs agissements sur la nature, la nature différente, les cultures différentes ?
Interroger nos modes de vie respectifs en proposant mes modes de représentations, à partir de supports différents, d’éléments de la nature coréenne trouvés au hasard de promenades, de déambulations dans la ville de Masan (fruits, légumes, bois, cailloux, verres, etc... ), de rencontres de femmes et d’hommes coréens, là où ils vivent dans leur environnement, leur culture, avec leurs traditions et leurs usages. Croiser mon regard avec le leur, voir, se questionner, ne pas comprendre parfois, puis petit à petit s’adapter et se fondre sans se dissoudre.
Quelles sont nos différences et nos similitudes, nos regards croisés ?
Août-septembre 2019, Masan
J’explore de jours en jours la ville de Masan -découverte de son merveilleux marché qui va être un théâtre d’expériences et une mine pour ma recherche plastique - éponges fruits façon boules de Noël, papiers, explosion de couleurs, fruits et légumes coréens, verres polis sur les rivages de la mer, odeurs nouvelles, visages et sourires, échanges de regards car la langue manque. Je déambule chaque jour à la recherche de nouvelles émotions et sensations que je tente de traduire dans mon travail. Le spectacle est intense. La pluie arrive, l’automne pointe son nez. La nature se jaunit peu à peu et les rizières se dorent. L’humidité est de plus en plus présente, les odeurs changent.
La terre ici gagne sur la mer. L’espace vital des poissons se réduit à mesure que celui des hommes s’agrandit. Le marché aux poissons leur sert de dernier recours, éphémère. Ils tournent en rond. Les marchandes s’affairent à leur couper la tête. Ils finissent en grillades délicieuses. La cuisine coréenne regorge de saveurs sucrées, amères accompagnées de légumes et de feuilles. Les feuilles vertes sont prépondérantes, de la couleur toujours plus intense. Tout est couleur, jusque dans la nuit.
Je continue de jours en jours mon exploration plastique. Travaillant le modelage du papier des journaux coréens absorbant l’humidité facilement, je construis mes nouveaux légumes coréens qui désormais feront le poids pour une rencontre en équilibre des différents portraits. Je réfléchis au changement d’échelle en faisant une analogie avec « se faire entendre ». Parler tout doucement pour que son interlocuteur « prête son oreille ». Représenter très grand et/ou très petit pour que le public « prête son regard ».
Les papiers coréens absorbent davantage l’acrylique et le traitement se révèle une surprise face à la légèreté de ces papiers. Je passe et repasse ma peinture jusqu’à avoir la densité nécessaire de la couleur. Le contraste arrive grâce la légèreté du papier pourtant si solide et l’opacité de la représentation du légume. Ainsi, le papier constitué de feuilles naturelles fait écho au travail sur ma toile préparée en France pour l’exposition. La toile et le papier vont se croiser pour une nouvelle représentation plastique.
Une Île en face de Masan. Arrivée en bateau, lieu de promenade des familles et des amoureux. La pluie délicatement enrobe la mer d’un voile cotonneux. Les odeurs aigres-douces de la terre et de la végétation deviennent prégnantes. Au loin la ville de Masan en impose avec ses tours qui s’affrontent à la montagne. Défi de l’homme sur la nature, sa conquête est toujours plus grande. La nature guerrière de l’homme, l’emporte vers ses destins expansifs. L’homme semble prédateur jusqu’à l’excès.
Je travaille à une sculpture branche incrustée de pâte de verre et de tessons de bouteilles trouvés sur les rivages de l’île de Dotsum, l’île du cochon en face de Masan. J’y associe les couleurs du Dancheong, mode de décoration qui couvre les piliers, les poutres des palais.
Ces motifs ne sont pas seulement décoratifs, au sens où ils symbolisent aussi la pensée humaine et sa recherche de valeurs philosophiques et esthétiques. Les couleurs contribuent ainsi au dialogue discret qu’entretient l’architecture traditionnelle avec les montagnes et forêts. En Corée la montagne est partout.
On assiste au dialogue des couleurs avec la nature, branchage trouvé sur le rivage où le poids du légume vient tranquillement chercher l’équilibre.
Ce soir, mon travail s’achève. J’installe mes portraits et la distance me semble s’effacer.